#ScienceDurable – De l’importance de la nature en ville pour notre santé mentale
Auteure : Annamaria Lammel, chercheuse à l’Université Paris 8
À l’occasion du prochain rapport de l’IPBES sur l’état de la biodiversité en Europe et en Asie Centrale, la FRB donnera chaque mois jusqu’à la sortie du rapport la parole à des chercheurs spécialistes de différents écosystèmes (marin, forestier, d’eau douce…) et de disciplines comme le droit, l’économie et la biologie de la conservation. Autant de domaines qui offrent chacun un éclairage précis sur les enjeux actuels pour la biodiversité en Europe.
À gauche : cours d'eau en forêt tropicale mexicaine (© El semental ingles) / À droite : Banlieue de Mexico (© Pablo Lopez Luz / Barcroft Media) « Je n’irai jamais vivre dans cette ville. Même si je reste un indito [pauvre indien], chaque matin, quand je vais à ma milpa [champ de maïs et haricots mélangés], j’y suis heureux. Je vois tant d’arbres, de plantes, d’oiseaux et de ruisseaux avec des poissons, et le bleu du ciel… Je me sens bien. Dans la ville de Mexico, les murs sont gris, les routes sont grises, le ciel est gris, même les bruits sont gris. Là-bas, il n’y a pas de plantes, et je me sens triste. ». Voilà la réaction de Gonzalo, chef de famille Amérindien Totonaque de la région subtropicale du Golfe du Mexique, à son retour de Mexico où il a rendu visite à sa fille.
Dans ce témoignage, Gonzalo exprime la relation entre le bien-être, les émotions et la biodiversité. Son discours est centré sur ses émotions qui interagissent avec sa pensée et avec son corps. Gonzalo veut rester dans son village, entouré par sa famille et connecté à la nature. Sa perception fait écho à la théorie existentialiste de Ludwig Binswanger, psychiatre suisse qui a proposé trois mondes guidant l’état émotionnel de l’individu : le monde personnel et privé (Eigenwelt), le monde social (Mitwelt) et le monde organique et physique (Umwelt).
Le monde qui nous entoure influence notre bien-être et notre santé mentale. La « connectivité » avec la nature désigne le degré de sentiment d’unité entre l’homme et le monde naturel dans sa diversité biologique. C’est, pour chacun d’entre nous, le sentiment d’appartenir à la nature ou bien d’y être extérieur. La connectivité inMARS 2018 De l’importance de la nature en ville pour notre santé mentale À gauche : Cours d’eau en forêt tropicale mexicaine | À droite : Banlieue de Mexico © El semental ingles © Pablo Lopez Luz / Barcroft Media 2 fluence l’identité d’affiliation (Beery & Wolf-Watz 2014 ; Schultz et al. 2004), c’està-dire la réponse aux interrogations suivantes : d’où est-ce que je viens ? Quelles sont mes origines ? C’est un facteur important du bien-être psychologique, qui peut varier selon les cultures, les environnements biophysiques, mais aussi d’un individu à l’autre. Le niveau de connectivité avec la nature influence la santé mentale, le bien-être, et se traduit également dans les préoccupations environnementales (Dutcher et al. 2007 ; Mayer & Frantz, 2004).
Figure 1. Échelle de connectivité avec la nature. Tout à gauche, sentiment d’en être séparé. Tout à droite, sentiment de ne faire qu’un avec elle.

Les recherches en psychologie montrent que nous avons besoin de nous connecter à la nature, même lorsque celle-ci a été complètement transformée par l’homme.
De très nombreuses études scientifiques ont montré que l’absence d’espaces verts et bleus peut influencer négativement notre bien-être. Entre 1990 et 2010, les cas de dépression ont augmenté de 37 % dans le monde. Faut-il y voir un lien avec le fait qu’aujourd’hui, plus de la moitié de l’humanité vit désormais dans les villes ?
D’après plusieurs travaux de recherche, les adultes exposés aux espaces verts sont moins sujets aux maladies mentales telles que la dépression, l’anxiété ou le stress (Berman et al. 2012 ; Beyer et al. 2014). Des revues systématiques (Gascon et al. 2015, Van den Berg et al. 2015) ont mis en évidence que la quantité d’espaces verts dans les villes et les caractéristiques visuelles des paysages sont corrélés de façon positive avec la santé mentale et le bien-être, mesuré par des questionnaires.
Certaines études s’intéressent aux impacts bénéfiques du contact avec les espaces verts et bleus sur le développement comportemental et émotionnel des enfants, comme dans le cas du trouble déficitaire de l’attention / hyperactivité (TDAH). À Barcelone, les chercheurs ont trouvé que l’indice de végétation de l’environnement à proximité était inversement corrélé à l’inattention et à l’hyperactivité. En Angleterre, l’accès à des jardins et la fréquentation de parcs et d’aires de jeux étaient moins associés à des problèmes d’hyperactivité. Aux États-Unis, les sorties extrascolaires dans des espaces verts ont réduit les symptômes du TDAH plus efficacement que les sorties en intérieur ou dans des lieux extérieurs construits. Au contraire, plus la distance avec des espaces verts urbains augmente, plus on observe de cas de TDAH. L’influence positive de l’espace vert ou bleu – et plus généralement de la nature – sur la santé mentale est donc aujourd’hui prise en compte dans les démarches thérapeutiques pour le TDAH, mais aussi la dépression, les troubles du comportement et les troubles anxieux.
Dans les pays développés, un nouveau trouble du développement a été identifié sous le terme de “nature-deficit disorder” ou «trouble déficitaire de la nature». Il désigne la déconnexion avec le monde naturel et l’usage de plus en plus important des médias électroniques, notamment pour les loisirs, contribuant à la baisse significative du bien-être psychologique.
Si la tendance démographique actuelle se poursuit, la population urbaine va augmenter et les mégapoles telles que celle de Mexico vont se multiplier. L’urbanisation massive et souvent chaotique, couplée avec les conséquences du changement climatique, représente une menace pour la santé mentale des populations humaines, notamment par la diminution des espaces verts et bleus et de la biodiversité. Comment la science et les décideurs peuvent-ils faire face à ces défis ?
D’une part, il convient de poursuivre les études dans ce domaine, en privilégiant les recherches interdisciplinaires, interculturelles et de cohortes (suivi des mêmes personnes pendant dix ou vingt ans). D’autre part, il faut renforcer les actions visant à rendre les villes plus vertes et plus riches en biodiversité, tout en s’adaptant aux réalités socio-économiques et environnementales. Si des villes prospères comme Paris ou Los Angeles ont des moyens financiers suffisants pour planter des arbres ou constituer des parcs, les bidonvilles d’Afrique sub-saharienne ou d’Asie sont limités par la pauvreté. Les contraintes climatiques comme la sécheresse peuvent aussi freiner de telles initiatives. Celles-ci nécessitent une démarche itérative, flexible, impliquant tous les acteurs, y compris les habitants des villes. Si nous avons le sentiment de faire partie intégrante de la nature, nous avons plus de chance d’être suffisamment motivés pour la protéger. Le développement de la connectivité avec la nature pourra donc contribuer à renforcer la participation des citadins aux initiatives visant à implanter la nature en ville, qui à leur tour renforceront le contact avec la biodiversité et la sensibilité envers elle : un véritable cercle vertueux !
Chaque mois, la FRB, ses instituts membres fondateurs et l’alliance AllEnvi mettent en avant les solutions de la recherche pour enrayer le déclin de la biodiversité. Suivez-nous sur notre page dédiée et sur nos réseaux sociaux #ScienceDurable
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