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Article Publié : 14 mars 2018 I Mis à jour : 18 août 2025

Des aires marines protégées en haute mer : l’Europe pionnière

Auteure : Betty Queffelec (université de Bretagne occidentale)

 

À l’occasion du prochain rapport de l’IPBES sur l’état de la biodiversité en Europe et en Asie Centrale, la FRB donnera chaque mois jusqu’à la sortie du rapport la parole à des chercheurs spécialistes de différents écosystèmes (marin, forestier, d’eau douce…) et de disciplines comme le droit, l’économie et la biologie de la conservation. Autant de domaines qui offrent chacun un éclairage précis sur les enjeux actuels pour la biodiversité en Europe.

La mise en place d’aires marines protégées est l’une des mesures phares de conservation de la biodiversité marine. Il s’agit principalement de définir un espace au sein duquel les activités humaines pourront être restreintes et la lutte contre la pollution renforcée, dans l’objectif de protéger un écosystème particulièrement remarquable ou sensible. Adoptée en 1992, la Convention sur la diversité biologique mentionne comme premier outil de conservation in situ l’établissement d’un « système de zones protégées ou de zones où des mesures spéciales doivent être prises pour conserver la diversité biologique ». Les objectifs d’Aïchi (CDB, 2010) pour la biodiversité prévoient ainsi la conservation d’au moins 10% des zones marines et côtières par des réseaux d’aires protégées. Aujourd’hui, il existe quelques aires marines protégées situées en haute mer – ce vaste espace, au delà des zones économiques exclusives des États côtiers – qui représente 64% des mers et océans et qui constitue un enjeu crucial pour la biodiversité. Un nouveau traité est actuellement en cours de discussion pour introduire des mesures juridiquement contraignantes pour la conservation et l’utilisation durable de la biodiversité en haute mer. En effet, il est impossible de contraindre juridiquement des États à appliquer un accord s’ils n’en sont pas Partie. Comment, dans ces conditions, traiter ce problème et ainsi préserver la biodiversité des écosystèmes fragiles et méconnus qui s’y trouvent ?

 

Conventions internationales et principe de la liberté de la haute mer

La surpêche et les pollutions dans toute la colonne d’eau, y compris dans les profondeurs, menacent les écosystèmes des eaux internationales. Comme le stipule la Convention des Nations Unies sur le droit de la mer (UNCLOS) adoptée en 1982, les États n’ont ni juridiction, ni de droits souverains en haute mer. Selon le principe de la liberté de la haute mer, un État, ou un groupe d’États, ne peut décider d’en réglementer une zone et d’imposer ces règles à d’autres États. En revanche, par un accord international, plusieurs États peuvent décider de créer une aire marine protégée en haute mer et y imposer, aux navires battant leur pavillon, une série d’obligations visant à préserver la biodiversité. Mais une question majeure reste en suspens : comment faire appliquer les dispositions d’un tel accord aux « États tiers », c’est-à-dire à ceux qui ne l’ont pas ratifié ?

 

En réalité, la présomption de liberté totale en haute mer est limitée par le droit international, à commencer par certaines dispositions de l’UNCLOS (art. 87). En effet, cette convention oblige les États à protéger et à préserver le milieu marin (Art. 192), en particulier « les écosystèmes rares ou délicats ainsi que l’habitat des espèces et autres organismes marins en régression, menacés ou en voie d’extinction » (Art. 194 § 5). Par ailleurs, elle leur impose de coopérer dans le domaine de la protection de l’environnement marin (Art. 197), comme dans le cadre de la conservation et de la gestion des ressources biologiques (Art. 117 et 118) et des mammifères marins de la haute mer (Art. 120). Toutes ces dispositions combinées contraignent néanmoins les États tiers à coopérer avec les signataires d’un accord international établissant une aire protégée en haute mer, en vue d’assurer la protection de l’environnement dans cette zone.

 

Des accords prévoyant des aires marines protégées en haute mer

Des exemples de protections zonales existent déjà. Ainsi, la convention MARPOL 73/78 sur la lutte contre la pollution marine a désigné des zones spéciales où la réglementation est renforcée, en partie hors des juridictions nationales. Des aires protégées de haute mer ont également été établies au niveau régional, c’est le cas de l’Europe par exemple. En 2003, la Commission OSPAR a adopté une recommandation établissant un réseau de zones marines protégées en Atlantique Nord Est. Sept aires marines protégées ont ainsi été établies en haute mer entre 2010 et 2012, comme sur la zone de fracture Charlie-Gibbs. Cette dernière forme un point de rencontre entre les eaux polaires et celles du sud, où la biodiversité est particulièrement riche : coraux d’eau froide, pieuvres, requins d’eau profonde, oiseaux marins et cétacés tels que les baleines bleues. Il s’agit d’écosystèmes extrêmement fragiles, notamment du fait de la croissance très lente des coraux, et autrefois menacés par la pêche en eau profonde. Ce processus a même été plus loin, car la navigation ou la pêche n’entrant pas dans le champ d’application de la convention OSPAR, un cadre de coopération défini par OSPAR et initié en 2011 (processus de Madère) a été mis en place pour associer les institutions compétentes dans ces domaines à la préservation des aires marines protégées, interdisant la pêche en eaux profondes dans l’essentiel de la zone de Charlie-Gibbs.

 

En Méditerranée, un protocole contraignant relatif aux zones spécialement protégées et à la diversité biologique prévoit la mise en place d’aires marines protégées susceptibles d’être localisées, en tout ou en partie, en haute mer (aires spécialement protégées d’importance méditerranéenne – ASPIM). Dans le cadre de ce protocole, les États Parties se sont engagés à prendre des mesures appropriées, compatibles avec le droit international, en vue d’assurer que nul n’entreprenne des activités contraires aux principes et aux objectifs du protocole, y compris, donc, les États tiers. C’est ainsi qu’en 1999, l’accord Pelagos entre l’Italie, Monaco et la France a établi un sanctuaire marin de près de 90 000 kilomètres carrés pour les cétacés en mer de Ligurie, qui s’étend pour partie dans les eaux internationales. De nombreuses espèces de baleines et d’odontocètes (cachalots et dauphins) y bénéficient de mesures de protection. Dans les zones du sanctuaire au delà des juridictions nationales, chacun des États Parties est compétent pour assurer son application « à l’égard des navires battant son pavillon, ainsi que, dans les limites prévues par les règles de droit international, à l’égard des navires battant le pavillon d’États tiers ».

 

Conclusion

Les aires marines protégées telles que celles établies par OSPAR en Atlantique et par Pelagos en Méditerranée assurent à quelques écosystèmes de haute mer une protection renforcée. Ce sont des expériences pilotes qu’il serait utile d’étendre à d’autres régions. Plusieurs institutions internationales (notamment la COP biodiversité – Conférence des parties à la convention sur la diversité biologique) et forum d’échanges entre États (comme UNICPOLOS) ont appelé à une prise en compte de cette difficulté et à mener des travaux sur ce point. La découverte de la diversité et de la fragilité des écosystèmes des grands fonds marins a contribué à renforcer la volonté d’établir des aires protégées en haute mer. En 2012, lors de la conférence Rio+20, la question d’un futur accord international pour la conservation et de l’exploitation durable de la diversité biologique marine dans les zones qui ne relèvent pas des juridictions nationales a été soulevée, mais pas résolue. Néanmoins, un tel accord semble en bonne voie. En effet, le 24 décembre 2017, l’Assemblée Générale des Nations Unies a décidé de convoquer une conférence intergouvernementale en vue de son élaboration.

 

Sources complémentaires
  • B.C. O’Leary, R.L. Brown, D.E. Johnson, H. von Nordheim, J. Ardron, T. Packeiser, C.M. Roberts, « The first network of marine protected areas (MPAs) in the high seas: The process, the challenges and where next », Marine Policy, 36(3), 2012, pp 598-605
  • B. Queffelec «La diversité biologique : outil d’une recomposition du droit international de la nature – L’exemple marin», UBO, soutenue le 12 avril 2006, à Brest disponible à l’adresse suivante : https://halshs.archives-ouvertes.fr/ tel-00422643/
  • Rochette J., Billé R.,“Perspectives pour une nouvelle gouvernance de la biodiversité en haute mer. Compte rendu du séminaire international Vers une nouvelle gouvernance de la biodiversité en haute mer (Monaco, 20-21 mars 2008)”, Revue juridique de l’environnement, 2008 (4), pp.515-520.
  • Rochette, J., Druel E., Les zones marines protégées en haute mer dans le cadre de la Convention OSPAR : état des lieux et perspectives d’avenir, Working Papers N°03/2011. Iddri, 2011. 18 p. http://www.iddri.org/Publications/Collections/Idees-pour-le-debat/ID_1103_rochette_druel_OSPAR_zones_marines_protegees.pdf
  • Entretien avec Serge Segura « Haute mer : « On ne veut pas transformer les océans en aquarium » » Le monde 11 juillet 2017 http://www.lemonde. fr/planete/article/2017/07/11/haute-mer-on-ne-veut-pas-transformer-lesoceans-en-aquarium_5159178_3244.html
  • Vidéo : Conférence internationale – La haute mer, avenir de l’humanité Quelle gouvernance pour une gestion durable de l’océan ? qui s’est tenue le 11 avril 2013 à Paris. Disponible à l’adresse suivante: http://www.hautemer2013.lecese.fr/
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