Biodiversité ! Le Média
Accueil > Biodiversité ! le média > L’exploitation des ressources halieutiques : pressions sur les écosystèmes marins, état des pêcheries, impacts sur la biodiversité et aménagement de ses usages
Article Publié : 15 mars 2018 I Mis à jour : 13 août 2025

L’exploitation des ressources halieutiques : pressions sur les écosystèmes marins, état des pêcheries, impacts sur la biodiversité et aménagement de ses usages

Auteur : Philippe Gros, chercheur à l’Ifremer et membre du Conseil scientifique de la FRB

Lecture : 11 min

À l’occasion du prochain rapport de l’IPBES sur l’état de la biodiversité en Europe et en Asie Centrale, la FRB donnera chaque mois jusqu’à la sortie du rapport la parole à des chercheurs spécialistes de différents écosystèmes (marin, forestier, d’eau douce…) et de disciplines comme le droit, l’économie et la biologie de la conservation. Autant de domaines qui offrent chacun un éclairage précis sur les enjeux actuels pour la biodiversité en Europe.

Le poisson, produit de grande consommation internationale

En 2015, l’offre de poissons, mollusques et crustacés (collectivement appelés « poisson ») a atteint le chiffre record de 20,3 kg par personne en moyenne. Le poisson demeure l’un des produits alimentaires de base les plus échangés au monde avec comme premier importateur l’Union européenne, devant les Etats-Unis, la Chine et le Japon. L’émergence et la croissance d’une classe moyenne de consommateurs dans les pays en voie de développement et son augmentation au niveau mondial (3,2 milliards en 2016, avec une prévision d’environ 5 milliards en 2030) entraînent (i) une amplification de la demande en poisson ; (ii) une hausse de l’import-export due à l’éloignement entre clients et lieux de capture ou d’élevage. Plus du tiers du poisson (en volume) est écoulé dans le commerce international, auquel les pays en développement (PED) contribuent de plus en plus depuis quelques décennies. L’efficacité des filières de production et de distribution, la baisse du coût du transport, le perfectionnement de la logistique, la libéralisation du commerce international, la transformation des produits délocalisée dans des pays à faible coût de main d’œuvre, concourent à une mondialisation croissante : un poisson peut être pêché ou élevé dans un pays, transformé dans un deuxième et consommé dans un troisième.

 

Jusqu’aux décennies 1970, l’offre de poisson provient quasi exclusivement de la pêche. Ce n’est qu’à partir des années 1980 que la production aquacole devient tangible, tandis que les captures de la pêche stagnent à partir de 1995. C’est depuis lors la croissance ininterrompue de l’aquaculture qui soutient l’augmentation de l’offre globale de poisson : en moyenne 10,4 kg (aquaculture) + 9,9 kg (capture) par personne en 2015, contre respectivement 1,1kg + 10,6 kg en 1980. En plus de cette offre, une part des captures de la pêche entre dans la composition d’aliments pour les élevages aquacoles, spécialement d’espèces carnassières comme le saumon. Dans l’Union européenne — à seulement 45% autosuffisante en poisson — les espèces sauvages les plus consommées sont aujourd’hui le thon, la morue, le lieu, le hareng, le merlu et le maquereau. Les espèces d’élevage sont le saumon, le panga et les moules ; les crevettes tropicales étant pour moitié d’élevage, pour moitié sauvages.

 

Les pressions de la pêche sur la biodiversité marine

Dès le début du XXe siècle, les signaux de raréfaction des ressources halieutiques ont mis fin à l’idée qu’elles seraient inépuisables. La cause première de la surexploitation était bien identifiée — une capacité de capture supérieure au potentiel de renouvellement des stocks — mais sans consensus sur les moyens d’y remédier (le stock est la fraction pêchée d’une ou plusieurs populations d’une même espècecible). En 1946, à la conférence de Londres sur la surpêche, les pays de l’hémisphère nord sont parvenus à s’accorder sur la limitation du volume des prises (la quantité de poissons pêchés). En revanche, et c’est là un échec dont les séquelles sont encore sensibles, ils ne se sont pas accordés sur la régulation de la capacité de capture (les moyens de pêche — nombre de bateaux, équipements, etc. — toujours plus performants). En d’autres termes, un stock peut être exploité en encadrant les captures tout en déployant des flottes de pêche capables de prélever beaucoup plus que le potentiel de production du stock. Dans ces conditions, si les droits de pêche ne sont pas clairement définis, et si au surplus le contrôle du volume des captures est inefficace, voire absent, la concurrence entre exploitants — la « course au poisson » — incite chacun à augmenter sa capacité (qu’il faudra rentabiliser) afin de pêcher le poisson avant que quelqu’un d’autre le fasse. En l’absence de mécanismes de régulation, la création de surcapacité et la surexploitation des ressources ont aggravé leur raréfaction, exacerbant par rétroaction la concurrence… Aujourd’hui, la FAO estime à 31% la part des stocks mondiaux surexploités en 2013, contre 10 % en 1974.

 

La hausse continue depuis 1960 de l’effort de pêche de la flotte mondiale (la mise en œuvre opérationnelle de sa capacité) est inégalement soutenue par les pêcheries des pays développés et des PED. Depuis les années 70, la hausse de l’effort et des captures des PED — d’Asie au premier chef — va de pair avec une baisse de rendement (en termes de prises par unité d’effort). Les pays développés, qui avaient accru leur effort dès les années 50, l’ont diminué de près de moitié depuis 1990 et ont stoppé depuis vingt ans la chute du rendement de leurs flottes. En 2012, le volume total des prises des PED était 2,4 fois plus élevé que celui des pays développés, dont les flottes avaient un rendement moyen trois fois supérieur. Il faut ici souligner que l’évolution de la politique environnementale de la Chine — 1er pays pêcheur devant l’Indonésie, l’Union européenne, les USA et l’Inde — inclut un ambitieux plan quinquennal (2016-2020) de restauration des stocks et de protection des écosystèmes dans sa zone économique exclusive.

 

Les impacts de la pêche sur la biodiversité vont bien au-delà de l’érosion des populations d’espèces- cibles : 

  • Ils atteignent une multitude d’organismes capturés et rejetés à la mer ; pardelà les prises accidentelles d’animaux emblématiques (oiseaux, petits cétacés, …), la biomasse globale des prises rejetées équivaudrait au dixième de celle des captures mondiales.
  • Des décennies de raclage répété des habitats sédimentaires par les chaluts et les dragues, comme en Atlantique nord-est, ont abouti à altérer les communautés benthiques jusqu’aux grands fonds, en particulier à endommager l’épifaune sessile (massifs d’éponges, coraux d’eaux froides, etc.).
  • La pêche modifie les interactions entre espèces, notamment en déclenchant des renversements de dominance entre les prédateurs et leurs proies (« cascades trophiques ») : ainsi, en une vingtaine d’années de pêche nonsélective en mer de Chine orientale, les grands poissons prédateurs ont été éradiqués et ce sont dorénavant leurs proies qui sont exploitées — une abondance de poissons de petite taille et de productivité élevée.
  • En ciblant sélectivement les poissons qui dépassent la taille commerciale (ceux qui se sont déjà reproduit), la pêche tronque la pyramide d’âges des stocks — amputation qui amplifie leurs fluctuations d’abondance — et ajoute à la sélection naturelle (darwinienne) une sélection dirigée « non-naturelle » de poissons qui se reproduisent à une taille plus petite et à un âge plus précoce.

 

Un inépuisable gisement de questions de recherche !

La variabilité naturelle de l’abondance des stocks, un défi pour les gestionnaires, fut très tôt une priorité de recherche. Dès 1914, le biologiste norvégien J. Hjort soulignait l’extrême irrégularité du « recrutement » (nombre de jeunes poissons issus de la reproduction atteignant une taille suffisante pour rejoindre le stock) des espèces-cibles des grandes pêcheries d’Europe du Nord (morue, hareng, sprat). Il attribuait ces fluctuations à la variabilité de l’environnement des stades larvaires. L’hypothèse de la coïncidence ou au contraire du décalage temporel et spatial entre les larves et leurs proies planctoniques fut avancée dans les années 70 puis empiriquement validée. Elle fut enrichie dans les années 80 par la mise en évidence du confinement dynamique des larves dans des structures hydrologiques (par exemple les tourbillons ou les fronts) offrant un milieu favorable à leur survie et à leur croissance.

 

Les résultats de la recherche progressent de concert avec les avancées des systèmes d’observation, depuis la création en 1931 du réseau d’observation du plancton de la mer du Nord — premier pas vers l’intégration de l’étude des pêcheries à celle des écosystèmes — jusqu’aux infrastructures modernes (flottes et engins océanographiques, satellites, profileurs Argo qui transmettent les caractéristiques de l’océan mondial, etc.) et aux nouvelles méthodes d’investigation (métagénomique, télémétrie, etc.).

 

L’enjeu est désormais d’inférer le futur des pêcheries — dans leurs dimensions écologique, économique et sociale — en considérant leurs propres impacts, combinés à ceux des autres impacts anthropiques (en particulier l’invasion globale des polluants et contaminants) et aux effets des changements de l’océan (réchauffement, désoxygénation, acidification) sur la dynamique de la biodiversité.

SUR LES MÊMES THÉMATIQUES
retour en haut de la page
fermer
This site is registered on wpml.org as a development site. Switch to a production site key to remove this banner.